La Peinture à Florence et à Sienne après la peste noire. Les arts, la religion, la société au milieu du XIVe siècle.
Hazan, 1994, pt in-4°, 320 pp, traduit de l’anglais, préface de Georges Didi-Huberman, 175 illustrations dont 17 en couleurs, appendices, notes, index, broché, couv. illustrée à rabats, bon état
La peste de 1348, qui décima des millions de Toscans, fut dans l’histoire un événement majeur. Les historiens d’art, eux, négligèrent de s’en préoccuper, à l’instar de Vasari, prenant prétexte de la rareté des descriptions littéraires et picturales. La peste noire, pourtant, fut, sur la voie de la Renaissance, un événement essentiel qui suscita une crise fondamentale de l’humanisme. Millard Meiss fut le premier, en 1951, à s’intéresser de près à ce point aveugle de l’histoire de l’art. Étudiant d’abord quelques caractéristiques essentielles des évolutions du style à la fin du XVIe siècle, ce collègue de Panofsky tente d’en découvrir les raisons dans les profondeurs des sociétés florentine et siennoise, sans pour autant forcer les liens de cause à effet. L’érudition, la probité et le tact de Millard Meiss font ce ce livre un maître ouvrage. — Un classique de l’histoire de l’art qui a mis l’accent sur les tensions entre histoire et histoire de l’art en prenant en défaut l’historiographie instaurée par les premiers historiens de l’art à la Renaissance, au premier rang desquels Vasari. 1348 : La peste anéantit la moitié de la population de Sienne et de Florence. Un événement si considérable et si traumatisant ne pouvait rester sans conséquences sur l’histoire de la représentation. Occultée par la tradition qu’inaugure Vasari et qui s’efforce de décrire la montée de l’idéal renaissant comme un chemin lisse et pratiquement sans accrocs, la peste de 1348 vient pourtant briser net un élan de confiance en soi-même et semer, avec de violents tourbillons, le doute dans les esprits. C’est cette césure qui fait l’objet du livre aujourd’hui classique de Millard Meiss, lequel vient éclairer d’un jour inoubliable cet art du Trecento où, comme l’a écrit Émile Mâle, « la mort se montre soudain dans toute son horreur ». Mais la relation de la peinture à l’événement n’est ni un simple lien de cause à effet, ni celui d’une illustration directe. Avec la peste, l’image d’un monde ordonné et stable – d’un monde qui commençait à ordonner et à espacer ses images – bascule. Mais les chemins sont lents et complexes, qui vont du traumatisme de l’événement au dérèglement qui se voit dans les peintures. Ils passent notamment par le « désordre de l’imagination » dont la peste est le foyer et par toute l’agitation intellectuelle et mystique qui cherche à lire des signes dans ce désordre. Aussi les figures de sainte Catherine de Sienne ou de Boccace ou encore les courants de prophétie fanatique qui se répandent alors en Toscane sont ils évoqués dans ce livre avec autant de ferveur que les images elles mêmes. De telle sorte qu’entre histoire de l’art et histoire tout court un pont, prudent mais solide, est ici tendu.— "Plus de la moitié de la population européenne périt de la peste noire de 1348, qui fit 43 millions de victimes, selon le pape Clément VI. Cette catastrophe démographique l'emporte de fort loin sur les guerres de Religion, les massacres révolutionnaires, la sanglante épopée napoléonienne, et dispute même leur sinistre record aux guerres mondiales et techniques de notre siècle. De juin à septembre 1348, la population de Florence passa de 90.000 à 45.000 habitants et celle de Sienne, de 42.000 à 15.000. On conçoit ce qu'une telle hécatombe a pu avoir de traumatisant pour les esprits. Ainsi, le chroniqueur siennois Agnolo di Tura rapporte qu'il enterra cinq de ses enfants de ses propres mains et ajoute: « Personne ne pleurait les morts, car chacun songeait que sa propre fin était proche.» Curieusement, l'histoire de l'art a longtemps négligé un séisme qui venait ébranler la peinture en pleine révolution giottesque, car Giotto était mort en 1337 et la génération de ses élèves était à l'œuvre..." (Jacques Bonnet, L'Express)