L'Impératrice Eugénie et son temps.
Bruxelles, Club international du Livre, s.d. (1956), in-8°, 380 pp, 6 gravures et portraits, reliure simili-cuir rouge de l'éditeur avec un profil blanc de l'impératrice au 1er plat, étui cartonné, bon état. Tirage à 3000 ex., tous numérotés
"Ce n’est pas seulement à un portrait de l’impératrice Eugénie que s’est attaché M. Jules Bertaut, mais à un vivant tableau de la société et de la politique du Second Empire. On a cent fois conté (et le cent unième récit dû à M. Bertaut, qui ne s’y attarde pas, est l’un des plus prestes) l’amitié de Mérimée pour les Montijo, son affection paternelle pour les deux sœurs qu’il connut enfants. Et n’est-ce pas son ami Beyle qui passionna Eugénie pour l’épopée impériale ? La comtesse de Montijo avait fui à Paris la peste qui ravageait Madrid. Mérimée fit son introducteur dans la bonne société... Douze ans plus tard le prince-président, qui avait au moins de l’aigle le regard s’il s’agissait de découvrir quelque belle proie nouvelle dans une foule de jolies femmes, distinguait Eugénie chez la princesse Mathilde et se la faisait aussitôt présenter. Eugénie de Montijo s’était juré que pour elle ce serait « tout ou rien » : elle voulait bien être impératrice – et même elle le voulait, – elle n’accepterait jamais d’être une La Vallière. Il fallait de la fermeté d’âme et une tête froide pour se tenir parole et tout risquer dans un jeu qui n’avait certes rien de frivole. Ayant gagné « tout », c’est-à-dire la couronne, elle parut d’abord ne souhaiter régner que sur le « monde », au sens le plus parisien. Il fallut le voyage en Angleterre pour que ses dispositions changeassent sous l’influence de la reine Victoria, qui, s’étant prise d’amitié pour elle, lui conseilla de ne point rester indifférente à la politique, de s’initier, puis de prendre part aux affaires. L’Italie semble être la première occasion importante qui lui soit donnée d’influer sur la politique extérieure française. Par tradition et par religion elle est opposée à cette libération de l’Italie, où elle voit d’abord une menace contre le pape. Les complots carbonari, qui troublent Napoléon III, ne font, elle, que l’exaspérer et l’enfoncer dans son opinion. « Libérateur de peuples, a-t-elle dit, c’est un métier de sot. » Au fond, note M. Bertaut, « elle est de cœur avec l’Autriche, et elle le sera toujours, de même que Napoléon demeurera le carbonaro qu’il fut jadis ». Or Cavour, qui ne se déplait pas aux intrigues de la comédie à l’italienne, a imaginé de contrebalancer cette influence conjugale par une autre influence féminine (car l’infidélité de Napoléon III est déjà notoire), et il remet ses instructions – « Réussissez par tous les moyens qu’il vous plaira, mais réussissez ! » – à un étrange ambassadeur : la comtesse de Castiglione. La « plus belle femme de l’Europe » auprès de l’homme plus qu’inflammable qu’était Napoléon III devait infailliblement « réussir ». Tout au moins à ce faire un souvenir d’ambition et d’amour assez vif pour que sa dernière volonté fût qu’on l’ensevelit dans « la chemise de nuit de Compiègne ». Pour le reste il semble bien qu’elle se faisait des illusions quand elle déclarait : « J’ai fait l’Italie et sauvé la papauté. » Mais enfin le résultat était là, même si elle y avait été directement pour peu de chose. Et l’aventure permet à M. Jules Bertaut d’ajouter un très joli chapitre de « galanterie diplomatique » ceux qu’il nous a récemment donnés et dont j’ai loué ici même l’agrément. Cette campagne d’Italie, désapprouvée par l’impératrice et rendue encore plus haïssable à ses yeux par son prélude galant, va néanmoins avoir pour elle une importance capitale en donnant une consécration officielle à son rôle et à son ambition politiques : investie de la régence pendant l’absence de Napoléon III, elle s’acquittera de ses fonctions avec application, sérieux, assiduité, presque avec passion. Dès lors l’impératrice pèsera de plus en plus sur la conduite de la politique étrangère. Que ce poids ait été néfaste, sans doute ; surtout dans l’affaire mexicaine, où son influence fut malheureusement déterminante. En revanche, son instinct, sinon sa clairvoyance, n’avait-il pas raison qui lui fit presser Napoléon III, au lendemain de Sadowa, de mobiliser sur le Rhin ? Il faut en tout cas saluer le courage et la fermeté que l’impératrice montra dans le désastre ; une manière de violence presque sauvage, vraiment héroïque (elle s’évanouit de douleur et de colère en apprenant que Napoléon avait capitulé au lieu de se faire tuer), qui n’étonne pas trop dans une âme espagnole ; mais aussi, plus inattendue, une hardiesse politique qui fit dire à Augustin Filon : « Votre Majesté agit révolutionnairement. » Trochu, peu suspect de complaisance pour elle, s’écriait : « Cette dame est une Romaine. »..." (Yves Florenne, le Monde Diplomatique, juin 1956)