La Duchesse de Bourgogne. Une princesse de Savoie à la cour de Louis XIV, 1685-1712.
Hachette, 1934, pt in-8°, 244 pp, broché, couv. illustrée, bon état
"M. le lieutenant-colonel Henri Carré vient de consacrer à la Duchesse de Bourgogne un ouvrage d'une belle tenue littéraire. Malgré sa vénération pour son héroïne, il n'est guère parvenu à rendre celle-ci sympathique. De son livre se dégage une figure juvénile, gracieuse, plaisante, assez semblable à celle que laissa, dans l'histoire de la cour de Louis XIV, Madame (Henriette d'Angleterre), duchesse d'Orléans, mais bien plus futile encore, bien plus superficielle et bien moins touchante ; car, au contraire d'Henriette d'Angleterre, Adélaïde de Savoie ne possédait aucune culture d'esprit, n'avait d'autre goût que celui du plaisir, n'était capable de rendre à la couronne aucun service d'ordre politique. Tandis que la première eut de sérieuses raisons de mépriser son époux, la seconde trompa le sien, qui péchait par excès de vertu, sans motifs vraiment plausibles. La grande gloire d'Adélaïde de Savoie consista, en définitive, à avoir pris tout le cœur de Louis XIV, éveillé en celui-ci la fibre paternelle qui n'avait guère vibré, avant sa venue à la cour. Elle était fille de Victor-Amédée II, duc de Savoie, et d'Anne d'Orléans, princesse française. Elle atteignait l'âge de onze ans quand le roi de France négocia son mariage avec son petit-fils, le duc de Bourgogne à peine adolescent, dans le but d'empaumer le Savoyard plutôt enclin à soutenir les intérêts de l'Autriche. La petite princesse, dotée par Sa Majesté de 200.000 écus d'or, survint en France dans un éclat d'apothéose. Elle n'était point belle à proprement parler, mais intelligente, rieuse, mignoteuse et, d'instinct, diplomate. Elle sut, tout de suite, en le cajolant, émouvoir le vieux souverain, apprivoiser la coriace marquise de Maintenon qu'elle appela sa tante. On la mit, pour achever son éducation, au couvent de Saint-Cyr, mais elle n'y apprit guère que balivernes. Elle entrevoyait, de temps à autre, son fiancé, le duc de Bourgogne, prince dont le duc de Beauvilliers, son gouverneur, et Fénelon, son précepteur, entraînaient si fâcheusement l'esprit vers la dévotion qu'ils étouffèrent, sous celle-ci, tous ses dons. Elle l'épousa en décembre 1697, chapitrée par Mme de Maintenon. Elle fut vivement aimée de cet adolescent virginal qui connut, pour la première fois, par elle, les délices de la chair. L'aima-t-elle ? On en peut douter. Avec les années le duc, dégénéré au physique, devint quasiment bossu, tourna vers l'ascétisme, prit dans les affaires militaires fort importantes qui lui furent confiées, une figure lamentable de vaincu. Il ne lui fit pas honneur. A ce docte en toutes sortes de sciences, à ce bigot, toujours en oraisons et toujours prêchant, qu'elle ne pouvait endurer dans sa couche, elle préféra le marquis de Nangis, beau comme un berger de l'Astrée, et même le marquis de Maulevrier, un fol, qui se suicida pour elle. M. le lieutenant-colonel Henri Carré tient, dans son livre, avec complaisance et agrément, la gazette des divertissements de son héroïne, choqué parfois cependant de découvrir tant de puérilité dans l'esprit de cette princesse. La duchesse de Bourgogne fut grande joueuse, gaspillant des sommes immenses les cartes en mains ; elle fut également ardente danseuse de ballets et de mascarades et furieuse chasseresse ; dans les derniers temps de sa vie, elle osa même monter sur les tréteaux de la cour et y interpréter des rôles de comédie. Le goût de la maternité ne l'animait guère ; elIe eut, par ses imprudences, de nombreuses fausses-couches. Le dernier de ses enfants, le duc d'Anjou, survécut seul de tous les héritiers de Louis XIV et devint le roi Louis XV..." (Emile Magne, Mercure de France, 1934)